« En s’affrontant à la mémoire de ce terrible événement, avec toute la pudeur et la subtilité qui conviennent, Patrice-Flora Praxo vise moins à représenter l’insoutenable qu’à donner à voir et à ressentir le processus de déshumanisation qui affecte la figure humaine dès qu’elle se trouve privée de son essentielle dignité. »
© Galerie Agnès Dutko
à lire le formidable texte d’Edouard Glissant véritable réflexion sur l’histoire et la trace, la densité humaine et la matière de l’existence, secoué une fois de plus par la puissance du penseur poète, peut être dans la concision amené au plus près de sa réflexion qui se canalise dans la griffe des présences humaines sur ce qui nous reste des fureurs de cette nuit
et l’entretien sur potomitan
Oui, c’est un poème d’amour à Mycéa, oui. C’est vrai, c’est vrai! Mais je ne puise pas dans mon affect quotidien pour nourrir ma littérature. En revanche, j’essaye de remonter très loin.
Un des sous-entendus de ce que j’écris, disons de mon œuvre, un des sous-entendus c’est que avant la traite c’est-à-dire dans le pays d’Afrique d’où nous venons il s’est passé quelque chose entre les gens qui ont ensuite été déportés en particulier les Longué et les Béluse et que nous n’arrivons pas à savoir ce que c’était et que c’est cet impossible là qui crée la blessure. L’impossible de savoir ce qui s’est passé là, avant la déportation. L’impossible de revenir jusqu’à l’explication, à la source de l’explication ou l’explication de la source.
Remonter dans cette filiation d’une manière tout à fait tranquille, pas tranquille mais enfin, tout à fait sûr, on sait qu’on vient de là, etc. Je crois pas à ça. Je crois que il est plus beau d’envisager l’infini et l’illimité dans cet avant là, dans cet avant africain, que d’envisager la précision, la certitude, etc.
D’où la réalité même d’aller au delà de ces traces, griffures, zèbrage , fibrilles, biffures, fourbis (et non que je mêle Glissant à Leiris quoique les deux lignes en moi se réverbérent) d’accéder à l’ avant, , réalité qui fut mais n’est plus, ne nous appartient plus, est demeuré en arrière et nous oblige, à devenir . dans ce devenir s’entremêle l’ incertain, du mélange,
Le trait doit, s’emparer de ce qu’il peut percevoir du passé annihilé, sacrifié, déjeté et de cette trace re naître le trait nouveau, par lequel l’être vieux se fraie un chemin dans la pluie et les griffures du présent qui demeure opaque et mystérieux,
des lianes un lignage mêlé, car accoster est aussi incertain en ce qu’il devient
D’où le tout-monde » , mot seul qui respecte l’insensé de ce qui mêle et démêle dans le respect de la source qui continue à œuvrer en secret ou en silence, condition de l’appartenance à soi
Mais s’atteindre par delà le gouffre que dessine l’écart, que Glissant et Chamoiseau en conversation nomment la cale et que fibrilles enserrent et remémorent, deuil mais aussi ferment de renaissance
fibrilles qui constituent les parois cellulaires
D’où le mythe qui peut être le point d’ancrage de l’imaginaire auquel maintenir un équilibre possible, l’image, non seulement des traces noyées ou anéanties par l’esclavage mais de ce qui comme un chant peut invoquer la survie,
Le prolongement mêlé de ces filets des racines s’élançant aux embranchements les plus imprévus rejaillissent non ce qui se rencontre mais ce qui se recompose. Le chant se transformera, s’appuyant sur la figure mythique, de Mycéa à Jémanja, évoquera une figure à partir de laquelle se reconstituer, la figure ramène au mythe ancien (d’où l’on provient) et incorpore des éléments rappelant la réalité actuelle, se mélangeant avec d’autres apports qui sont comme les croisements de la vie, le mythe grandit, change de direction et permet à l’exilé de se retrouver des deux cotés de la rive, en avant et se devançant.
On l’entend dans la langue et la syllabique même de la langue perdue se retrouve dans la langue acquise, créolisation qui est comme la sève recueillie des arbres nouveaux,
Ces si grands arbres qui s’élèvent et agrippent le sol créant un socle et s’augmentant, dérivant dans l’aujourd’hui l’impossible à contenir.
Par ce geste renouer la trace dans un filin des jours, liant les profondeurs aux nœuds de l’expérience, invoquant les feux de l’espérance, il a du en être ainsi dans ces rituels et cérémonies qui permettaient de se renforcer en essence et guérissant de la cale ou du fouet, de la mort inéluctable, lui donnant sens ou tentant.
«Parmi les taureaux un zébu veille il mord
L’odeur d’herbe est bleue il sommeille peut-être
Il fait troupeau de ce qui va paraître.
Il ensemence dans la mangle vérité.»
© Glissant, l’intention poétique
Les expériences multiplient, s’accouplent dans le mythe qui, récit de l’abstraction parvient à attirer le néant de la négation, la mort du fond des cales ou celle de l’esprit, et par là renouveler le miracle d’exister et de la survie,
Survivance et apprivoisement de la terreur, l’impossibilité du retour joint la trace au bord de l’invisible
Expérience ultime (Dachau-) la trace, survivance béante, lucioles de la négation.
Et vainquant la peur, le mythe fait remonter des fonds l’insondable, nos être mystique, les peaux sont confiées à la matrice, mère de l’indéfini, le vivant suit sa propre marche qui désormais gouverne, ouvert se mêlant et entremêlant, là est l’étonnement des créolisations qui rebondissent, vies, quelque chemin qu’elles prennent, dénoncent l’entrave des refus, mort, blessure, anéantissement, asservissement, viol, meurtre, amour, déchirure, punition, on ne saurait le décrire tant l’être asservi est hors d’atteinte du récit.
ne peux dire que j’aime – et y penser – et se dire que c’est si peu dire
Merci de ton passage Brigitte , je pense à retranscrire ce texte de Glissant apparemment introuvable de même que le catalogue , et ce texte de la préface est d’une force ! indescriptible !
au delà de cette profondeur là, au delà des mots..en écho
envie de creuser de ce coté là, qui est mon coté de prédilection et c’est justement pour cela que c’est difficile , aller du coté d’un immense poète et penseur qui fut mon ouvreur , et le demeure, mais il est difficile de renchérir , alors je me laisse aller là où les mots et les pensées poussent , je sens la terre sous mes pieds , sans soucis de valeur, mais à ouvrir la faille en moi pour qu’en finissent les fantômes et que célèbre les flots , la divinité sourit
et puis dans ce passage Glissant dit clairement en quoi je suis filleul des Antilles, pas fils mais en résonnance