Sa peau mêle

De l’éclair d’un premier toucher à la lumière profonde et spectrale de la nuit, l’être remonte de l’insondable vers la peau des choses que la lumière transfuse. C’est une respiration profonde et un halètement qui permet au monde dans un présent constant de se révéler. Et puis il y a le trajet, le désir et le désarroi, le combat et la traversée, lorsque l’autre se confond aux roches du chemin soudainement l’irruption dans l’idée de la beauté qui sculpte et ajoute dans le pouls la révélation d’un monde qui chante , bruisse et disparait dans le silence des couleurs descendantes.

Cet ensemble de textes comme une progression dans la vie de l’homme, a fait l’objet d’une publication sous le titre « De si loin un sillage » aux éditions du Petit véhicule avec les pastels, créés pour l’occasion par l’artiste nord-américaine Brigid Watson. .

Oeuvre de Birgid Watson

I

Je tiens le son des commencements
Cette lettre en forme de nœud
Ce murmure, cette eau solaire
Les calmes des irruptions des foudres
Comme la jointure des ivresses

Dans la résorption
de l’ombre
au pli du plein soleil
une rayure
tranche sur le rouge

Ce son pourrait être n’importe quoi

Emplit tout le mouvement

Baise le son parfait

S’étend se tend comme une eau ruisselle

Au bleu des deux miroirs,
celui de l’air et de la peau  

Nu, ce pourrait être
par quoi commence

Cet élancement d’aile envolée

L’enfant s’éveille, il perçoit comme une ligne

Autour de lui la chaleur
les couleurs, les vagues
une conque brandit le son

C’est ce murmure

Ample,
l’envie est claire et le corps est un défi
Le sable au risque de l’eau
est-ce l’air ?  

Une boucle verte borde l’indigo

le gifle

Les sens distinguent
une étincelle
l’ambre
à l’aube des sources
une lumière blanche
claire et brune

Un silence la prolonge

Les errements
d’un leurre
la fléchée
des embruns

oeuvre de Birgid Watson

Lave du jour

I

Ma queue sacrée,

sifflante

comme un naja d’étoiles,

broute

à la massivité noire

Veloutée
la grenade crépue
plus forte
que le renoncement
s’entrouvrent les lèvres
l’extatique
pulpe sinueuse

Bouche

Les muqueuses voilent la clarté
une attention
soleille au bord de l’œil

Ton fiel

La contrariété de la violence

Traverse à l’asphalte

Blanc

Croyant me dégourdir je me tus tout à fait

crus

que le lait du ciel se déversait du seau d’Orient

Au nord
la pointe de la connaissance 
au sud le tumulte
un tressage de finitude
l’accomplissement fil à fil

La chevelure à la voix de serpent
L’inertie et l’attente
les béances seule entrave à la colère
enlacée à  la peur
en flammes la douceur mutilée

rives des choses

I

Aux rives des choses,
de longues tringles filandreuses
entortillées de grille
perches ajourées de fers
pointés cloutés

Marchent et se mêlent aux vivants
ceux-là occupés à transvaser l’eau dans les bassines en toc

La grande invasion plastique
nylon en nuées blanches
chipe et recouvre les jambes

Ils marchent le long des rues
poudre ocrée
de cette île embarcadère
d’où le sanglot ne revient des meurtrières de l’exil
que déposés par le vent
le hasard
le ressac riverain

Voisinage triste
la pauvreté s’acclimate
les sacs renvoient les fumées à la fureur solaire

Ara s’envole

peu d’air

Août !

Mes vents défrisent la chaleur

Ara !

Iles de plumes respirent le feu

Impalpable criard !  

Cette gorge répète à foison ce qui tord dans les lianes
les feuilles agitent l’esprit
le vent le bois

Le frétillement de l’œil

Ce soupçon d’amour

Vif gueulard !

Flèche creusée dans les veines du bois
la plume sorcière

Silencieusement rieur

Ara s’envole

Alouettes ou mouettes
m’enchantent rouge-gorges,
perruches
s’effondrent cormorans, condors bleus
ou hirondelles d’une même lignée

La blancheur une péroraison oiseuse

Ailes graciles le long d’un nuage
l’été, une herbe, un peu d’air

Une onde de pluie défroisse
dans les gelées du sang
une pulpe que la peau ose

Crissement à l’égal du blanc
les mots accrochent le silence

….

Sa peau mêle

Ta main
pour suivre au bord de tous les bords
les plis cendrés, les gris carnés
les rives de nacre
la blancheur des traites
la nuit comme une aura

Le pollen laissé au vent
et les pétales yeux à yeux
le cercle de mon collier
l’attache de nos pierres
une oreille tendue
la litanie des brousses

Est-ce d’être obscène, la beauté m’attire

Être un plein à la conquête de son vide
procéder de soi à rebours
exige la clairvoyance

Les yeux m’en disent plus
et la main
pagaie les lignes claires

Les yeux grands ouverts
plus grands que l’air
s’il le faut
parure argentée
un ventre
plus foncé que terre

Des mers en verve
Un bourbier
d’où germent les troncs coiffés

Libre une corolle suspend le souffle 

Es-tu, Savoir à la frontière du noir,  Chiromancie subtile ?

Sa peau vêle
ma peau mêle
torrent en dessous
J’entends sa peau
m’appelle
loin de blême

Tord les nattes à l’infini
des boucles
des dents
des bouts de m’aime
le visage
jaillit comme une source

s’affirme céleste

Il répond au corps

Une pression
une pesée du corps

à taper le sol
une célébration!

Le soleil brûle la danse lui répond

….

Cernes d’Orion

I

La transparence
une intériorité
au silence des rythmes
le recueillement

L’incertitude
l’espace déroule

Sous le pas,
plus fine qu’une aile de libellule
la pluie diaphane
libère des envoutements

La treille violette

Unie en hâle

Entière en chair
dans l’harmonie

Glisse

II

En dessous
s’anime la diversité

Divergente

Cet enlacement subtil
n’est que l’échange des salives
les chromosomes innocents
de l’embrassade du vivant

L’éclat
la grammaire
vive
des anagrammes

À bien regarder la terre 
on y voit le familier
pourtant seule la matière s’y émet

Est-ce la fleur ?
ce bourgeonnement entre les règnes
cette élancée
là où les contraires se diluent

L’éblouissement précipite
l’écart
et le vide à rebours
c’est l’esprit qui s’insinue
l’inaudible de la lumière

….

Titien dans les flots

Gout du sel marin sur la peau

Brasser l’eau du rivage
La mer m’environne

Je retrouve l’eau
mon alliée ancienne
mouvements dorsaux
me sens nageoire

Cette fois mon hibiscus est bien trempé !

Être me soulage

Je pense au Titien,
vieil homme qui lorgne vers la nymphe,
femme du désir ou regard de convoitise
indécence ou parabole ?

Ce vieillard, est-ce moi aujourd’hui?
À quel point suis-je de mon âge à ma vie ?

Garder l’eau
en point de repère
la beauté reste la même
un engouement

Mon voyage à l’eau résonne de la question

Titien me revient dans l’eau carmine

Le temps 46 fois s’est déroulé
la plage de sable ramène
grain d’or où je me roule
palpe l’heure du temps

À dérouler
l’airain
la plage
dans l’onde
le rose
épuise en songe

La sagesse
vague tristesse
l’Iode
agrippe la peau

Trempe
plonge
le fluide
au flot
du courant