© Jean-Marie Schaeffer , Théorie des signaux coûteux, esthétique et art , ed. Tangence, coll. confluence, Presses Universite Du Quebec
» Les oiseaux-berceaux (bowerbirds) sont une famille d’oiseaux dont les espèces vivent notamment en Australie et Nouvelle-Guinée. Ils appartiennent à la famille des Ptilonorhynchidés, qui fait partie des sous-ordre des Oscines (oiseaux chanteurs), qui lui même fait partie de l’ordre des passériformes. Il en existe entre dix-huit et vingt espèces . Ils doivent leur réputation notamment au fait que les mâles construisent des architectures complexes et très décorées, appelées « berceaux ». La construction est à base de rameaux d’arbustes entrelacés de manière remarquable. La décoration tire profit de multiples objets prélevés dans l’environnement et recyclés : fleurs, plumes, capuchons de bouteilles, morceaux de verre cassés ou de vaisselle, ustensiles en plastique volés (par exemple dans les campings voisins) et ainsi de suite. Souvent l’intérieur du berceau est « peint » avec une mixture de baies, d’écorce, de charbon de salive et de terre. Il occupe les mâles une grande partie de l’année : ils ne compte pas leur temps pour le construire, le perfectionner, le réparer et le « retaper » par exemple en remplaçant les fleurs fanées. L’oiseau bercé satiné d’Australie par exemple commence la construction du berceau au début mai, alors qu’il n’est utilisé qu’au mois d’octobre et de novembre.
Pourquoi tant d’investissement dans une construction sans fonction »utilitaire » (puisqu’il ne s’agit pas d’un nid pour les jeunes) ? En fait le berceau fait partie de la vie amoureuse des oiseaux-berceaux : il est un élément central dans la stratégie de séduction du mâle et il joue un rôle important dans le choix que la femelle va opérer parmi ses amoureux. Sa fonction est triple. D’abord, en tant qu’œuvre architecturale et décorative, il attire l’attention des femelles qui l’inspectent minutieusement. Ensuite, dès lors que l’œuvre a convaincu la femelle que l’architecte en question valait la peine qu’elle s’y intéresse de plus près, il fonctionne comme une salle de spectacle. En effet la femelle vient se placer à l’intérieur du berceau et regarde l’architecte- le mâle- exécuter la phase cruciale de son opération de séduction : une danse couplé à un spectacle sonore, dans la mesure où, en dansant, le mâle émet toutes sortes de sons, en partie mimétiques (il imite d’autres oiseaux), en partie auto-mimétiques (il imite ses propres cris de menace) . Une fois la parade finie, le mâle essaie bien entendu de s’accoupler avec la femelle sans lui demander son avis.Le berceau rempli alors sa troisième fonction : comme le mâle doit faire le tour de du berceau pour atteindre la femelle , celle-ci a le temps de prendre son envol et d’éviter ainsi la copulation forcé, c’est à dire de préserver son libre choix. Mais comment la femelle choisit-elle? Qu’est ce qui lui importe davantage : l’architecture, la décoration, la danse, et les imitations vocales ou tout cela ensemble? (…)
On aura déjà compris ou je veux en venir. (…)
Concrètement, ce qui est en jeu ici ce n’est pas l’idée que la relation d’appréciation dans
laquelle les femelles s’engagent par rapport au chant des mâles relève de la fonction esthétique,
où que l’art remplit une fonction de sélection sexuelle ou une fonction du même type,
mais uniquement que la structure de la production pöiétique ou actantielle et de l’activité
attentionnelle à travers laquelle se réalise la sélection sexuelle chez les oiseaux est homologue
de la structure de la production artistique et de la relation esthétique chez les humains. » (…)à suivre .